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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Pratique judiciaire : quand le parquetier poursuit « son » accusé jusqu’en appel…

Il y a peu, j’écrivais un article sur une affaire de Cour d’assises au cours de laquelle j’avais eu affaire en appel au même Procureur Général qu’en première instance, ce qui est passablement agaçant et pour tout dire choquant.

Malheureusement, cette pratique judiciaire a tendance à se multiplier, cela m’arrive désormais fréquemment de ferrailler contre le même avocat général en appel qu’en première instance.

Qu’un magistrat du Parquet qui a obtenu une décision jugée trop sévère par le condamné ou trop tendre par lui vienne soutenir « son » dossier en appel est pour moi inconcevable.

Au mieux, il s’agit de faire des économies judiciaires en n’imposant pas à un autre magistrat d’étudier un lourd dossier, au pire il s’agit d’un grave pêché d’orgueil dudit parquetier.

Dans les deux cas c’est inadmissible.

Ni les économies ni l’orgueil ne font bon ménage avec la Justice.

Surtout, j’ai coutume de plaider qu’il s’agit là d’une entorse grave au principe du double degré de juridiction.

Ce n’est pas juridiquement exact et je le sais, mais devant la Cour d’Assises, qui oserait dire que la règle de droit pure est celle qui prévaut ?

Pour l’accusé comme pour le vulgum pecus, le droit de faire appel d’une décision est le droit de voir son dossier confié à de nouvelles personnes, qui n’ont pas d’a priori sur lui.

C’est vrai de la juridiction de jugement, dont la loi interdit à aucun membre d’avoir précédemment eu connaissance du fond du dossier, mais à mon sens cela vaut également pour l’organe de poursuite, qui doit avoir un œil neuf sur le dossier.

Lorsqu’un accusé soutient la thèse de son innocence, il arrive parfois que l’appréciation de la culpabilité soit très ténue et tienne à peu de chose, à une lecture particulière d’un simple témoignage, d’une pièce médicale, d’une expertise ou même à un effet d’audience.

Il est bien évident qu’un procès au cours duquel l’avocat général requiert l’acquittement faute de preuve suffisante ou au bénéfice du doute (cela arrive, si si, je vous l’assure, je l’ai vu de mes yeux à trois reprises, malheureusement jamais au bénéfice de mes clients…).

Quelle chance est donnée à l’accusé de bénéficier de cet œil neuf sur le dossier, de cette analyse différente d’un témoignage, de cette perception variable d’éléments d’expertise quand l’accusation est portée par la même personne en première instance et en appel ?

Peut-on imaginer que l’avocat général qui en 2013 demande 30 ans de réclusion criminelle contre l’accusé se dédise et sollicite un acquittement en appel en 2015? En théorie, tous les parquetiers vous répondront que oui.

Pour l’avoir subi à plusieurs reprises, particulièrement dans des dossiers fragiles ou l’acquittement se jouait à un cheveu, j’affirme que non.

Le parquetier qui poursuit en appel l’accusé qu’il a accablé en première instance ne lui laisse aucune chance, or cette chance, cette deuxième chance est de l’essence même du principe fondamental du double degré de juridiction.

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