1 Février 2016
J’ai beau me blinder ou essayer de le faire à mesure que les années passent, je ne peux pas dire que quand les déconvenues professionnelles s’enchaînent, cela glisse sur moi comme la rosée du matin sur la fougère.
Ainsi, après une série inhabituelle de raclées judiciaires, j’accueillais avec un plaisir particulier une belle relaxe prononcée par le Tribunal correctionnel de Paris dans une affaire qui n’avait pas laissé de me surprendre lorsqu’elle m’avait été confiée.
Les deux clients que je devais assister étaient déjà détenus lorsqu’on me confia ce dossier, après que le Tribunal les mît au placard « pour préparer leur défense ».
On peut quand même imaginer que pour placer quelqu’un en détention provisoire, il faut a minima avoir quelques éléments à charge, sinon des preuves, ce qui manquait pourtant cruellement dans ce dossier.
L’affaire était simple : une femme se ruait chez un coiffeur en hurlant qu’on l’avait agressée, un Cruchot en civil qui passait par là, qui n’avait rien vu mais tout entendu, tirait des plans sur la comète et appelait ses collègues qui, en arrivant, interpellaient mes clients désignés par la victime comme leur agresseur.
Ceux-là, dès le début, protestaient de leur innocence et indiquaient ne même pas comprendre pourquoi ils étaient en garde à vue. Ils avaient abordé cette femme pour demander un renseignement et celle-ci, sans doute apeurée, avait piqué une crise d’hystérie disaient-ils.
La plaignante, qui se présentait dans un premier temps comme pédopsychiatre ( !) indiquait ensuite être fraichement arrivée de Russie pour faire commerce de ses charmes. Elle expliquait être très vigilante quant aux agressions contre des prostituées, qui pullulaient selon elle ces derniers temps. De la vigilance à la paranoïa… Bref, elle refusait tout net l’examen médical et la confrontation. On ne la reverrait d’ailleurs plus jamais après cette plainte.
C’est dans cet état que le dossier était présenté à la 23ème chambre du TGI de PARIS qui, manifestement sans ouvrir le dossier, faisait droit à la demande des prévenus d’un délai pour préparer leur défense en même temps qu’elle les envoyait pour un séjour de plus d’un mois derrière les barreaux.
L’audience de jugement arriva enfin, toujours sans la victime et au vu du dossier, je pensais même pouvoir obtenir du procureur qu’elle acceptât d’abandonner les poursuites.
Douce rêverie.
Au contraire, elle se cambra sur sa position inepte et demanda 8 mois de détention pour chacun, sur la base de ce qu’elle appelait un « faisceau d’indice ».
Je me régalai à éplucher le dossier, du moins ses manques et ses failles, pointant l’absence de témoins oculaires pour une agression en pleine rue, dans le 16ème arrondissement de Paris, à l’heure de la débauche et à quelques mètres d’un commissariat, l’absence totale de crédibilité de la victime qui avait menti et fluctué pendant ses auditions, l’absence de certificat médical et même de constatations alors qu’elle décrivait des violences, l’incohérence totale du comportement prêté à mes clients (alors qu’ils étaient porteur de couteaux, ils n’avaient pas fait usage de ces armes pour détrousser leur « victime », ils avaient garé leur voiture aux portes d’un commissariat juste après la soi disant agression, étaient allés boire un café à deux pas, puis revenus tranquillement à la voiture…).
Au vrai, rien ne tenait dans cette histoire et on se demandait même quelles motivations avaient pu conduire la plaignante à alerter le voisinage. D’ailleurs celle-ci n’avait pas appelé la police.
Sans doute que sans l’intervention de ce policier en civil, jamais aucune suite judiciaire ne serait intervenue.
Analysons le raisonnement qui a conduit à cette erreur judiciaire : une femme se méprend sur le comportement de deux personnes qui l’abordent pour demander leur chemin, celle-ci est complètement paranoïaque, car l’on apprendra ensuite qu’elle descendait retrouver un client avec en prime le fruit de son labeur du jour, environ 1000 euros en espèces, dans son sac. Un policier en civil se précipite, celle-ci lui dit qu’elle a été agressée et que ces deux-là « en voulaient sûrement à son argent, elle ne voit pas d’autre explication » ( !). Sans temporiser, le bon flic en civil appelle ses collègues qui arrivent, repèrent les deux suspects, qui sortent d’un café et rejoignent leur voiture garée à deux pas du commissariat. Dans le procès-verbal d’interpellation, cela se transforme en « les suspects vont jusqu’à la voiture, ils semblent nerveux, regardent autour d’eux à plusieurs reprise. Sans aucune raison apparente ils font demi-tour avant de revenir à la voiture. Interpellons ». Garde à vue. Les deux suspects sont étrangers, cela ne va pas arranger leurs affaires. D’une nationalité dont on apprend au détour d’un PV, que les représentants sont « habitués au détroussement de prostituées » ( !). Ils nient, c’est un comportement de coupables. Comparution immédiate, la victime ne se présente pas à l’audience. On demande expressément à ce qu’elle comparaisse lors du renvoi. Détention provisoire. Le jour du jugement, pour la première fois on prend le temps de se poser, de peser les éléments en présence et on se rend compte que le dossier est vide comme rarement.
La solution pour éviter cela existe : prendre du temps et se remettre en question. Ce dossier pouvait être stoppé à plusieurs reprises :
Evidemment, l’essentiel est tout de même atteint, mes clients ont été déclarés innocents. Mais ils ont purgé plus de 5 semaines de détention provisoire pour rien.
Et ce n’est pas les 1500 à 3000 euros d’indemnisation que je leur obtiendrai qui pourront réparer cela…