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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

L’indispensable briefing du client avant l’audience pénale

Je défends un client accusé de multiples escroqueries devant la Cour d’appel après qu’il a écopé d’une peine excessivement lourde en première instance.

Une peine d’emprisonnement ferme qui se compte en années pour un homme au casier insignifiant, dans une affaire où les préjudices économiques, habituels baromètres de l’importance de l’affaire et de la lourdeur de la peine à venir ne sont pas exorbitants du droit commun.

Pourquoi une telle envolée de la peine dans ce dossier ?

En prenant la suite du confrère intervenu en première instance, je m’enquiers auprès de lui de cette difficulté.

Déjà, c’est délicat. Je ne veux pas qu’il imagine qu’en qualifiant d’excessive la condamnation, je remets en cause la qualité de son travail (l’avocat, parfois, peut être un peu susceptible… ;-)

Il m’explique que le client était insupportable en première instance, qu’il a même été odieux, agaçant tour à tour les magistrats, son propre avocat, les confrères intervenant pour les parties civiles…

Je n’ai aucune peine à l’imaginer, car il m’a suffi de lire le dossier pour comprendre que c’est « un cas ».

Monsieur « je sais tout », « j’ai réponse à tout », ce qui n’est pas précisément le comportement adapté devant une juridiction pénale, que l’on ait tort ou raison sur le fond d’ailleurs.

C’est comme ça, il faut l’accepter, quand on est poursuivi, même si l’on est innocent, il ne faut pas trop la ramener.

Les voyous disent qu’il faut faire « le canard »…

Le rendez-vous avec le client est donc une étape importante.

Je choisis l’électrochoc.

Je lui explique de but en blanc que c’est à cause de lui et de personne d’autre qu’il est dans cette situation.

Inévitablement, il commence à conspuer son précédent conseil ; je passe la seconde.

L’avocat n’a rien à voir là-dedans, je ne pourrai rien pour lui s’il ne change pas de comportement, je lui sors l’article de journal en lui montrant qu’il a même réussi le tour de force de gonfler le journaliste !

Je le prends vraiment frontalement.

Il arrête très vite son cinéma et devient du coup intéressant.

Plutôt que de prendre son interlocuteur de haut, manière de dire « vous êtes trop bête pour comprendre mon métier », il devient passionnant en m’expliquant son métier qu’il pratique depuis toujours, avec quelque talent semble-t-il.

Le courant est passé, le message aussi.

Nous pouvons désormais affronter l’audience.

Il ne fait pas une réponse de plus de 10 mots. Ne sait pas quand il ne sait pas. N’accuse pas, se défend.

L’audience semble se dérouler convenablement.

En sortant, tous les confrères, qui avaient assisté au carnage de la première audience, me tapent dans le dos et agrémentent d’un clin d’œil. « Tu l’as briefé à fond cette fois, on ne l’a pas reconnu ! ».

Bien sûr que je l’ai briefé. Pas en lui apprenant bêtement son texte. Pas en lui enseignant comment enjoliver, comment masquer, contourner. Simplement en lui transmettant quelques codes que nous, professionnels du judiciaire, maitrisons et devons apprendre à nos clients à déchiffrer. Pour qu’ils ne se noient pas à l’audience. Le plus souvent par ignorance, par méconnaissance des règles du sérail, parce qu’ils sont envahis de stress, dépassés par les enjeux.

Ce briefing est essentiel. Il peut coûter, aussi. Dans ces cas-là, c’est l’expression de notre indépendance que nous mettons à l’œuvre. Il faut pouvoir remuer, bousculer, choquer au besoin. Au risque de déplaire. De perdre le client, pourquoi pas.

Et alors qu’importe.

Je préfère un client qui s’en va parce que j’ai fait mon boulot qu’un client qui trinque parce que je n’ai pas eu l’indépendance de le faire…

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R
Limpide! Même hors contexte judiciaire, jolie leçon
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