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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Enquête criminelle : la théorie des portes fermées

Je plaidais il y a quelques années devant la Cour d’assises de Charente-Maritime pour un accusé de meurtre contre lequel les éléments de preuves faisaient cruellement défaut jusqu’à ce qu’il eût l’idée d’avouer le crime qu’on lui reprochait…

Au vrai, des aveux assez pitoyables, qui surtout ne cadraient pas avec le modus operandi constaté par les enquêteur lors de la découverte du cadavre, si bien que lesdits aveux ne me satisfaisaient pas.

Il en allait autrement des enquêteurs, ravis de n’avoir pas à chercher plus avant leur coupable.

C’est ainsi que je m’ouvrais de mon mécontentement au directeur d’enquête lors du classique contre-interrogatoire du procès d’assises.

Je commençais par lui demander comment il justifiait n’avoir pas effectué la traditionnelle enquête de voisinage, puis comment il  expliquait n’avoir pas pratiqué de relevés ADN, ni d’empreintes sur les lieux du crime. Puis comment il admettait s’être affranchi de recalculer l’itinéraire emprunté par mon client pour voir si celui-ci cadrait avec l’accusation…

Au bout d’une série ininterrompue de questions de cet ordre, il finit par me répondre, au bord de l’agacement : « Voyez-vous Maître, nous sommes deux fonctionnaires affectés au pôle criminel sur ce territoire, alors nous appliquons la théorie des portes fermées ».

Rien que ça. Et voudriez-vous expliquer au béotien que je suis en quoi consiste cette technique ?

« Eh bien, lorsqu’une réponse est apportée à l’une des questions que pose une enquête criminelle, nous fermons cette porte pour se concentrer sur les pistes que cette réponse permettent de dégager ».

Du coup, l’enquête se trouve rudement facilitée lorsqu’il est répondu à la question principale : qui ?

Et dans notre affaire, puisque l’accusé avait décidé d’avouer le crime, on avait conclu dans le même temps qu’il convenait de fermer cette porte.

La question de l’auteur de l’infraction ne se posait plus, puisqu’il y avait été répondu.

Sidérant, non ?

Eh bien, chères lectrices, chers lecteurs, sachez que cette méthode de travail a été appliquée par les enquêteurs dans chacune des affaires criminelles (et autres d’ailleurs) qu’il m’a été donné d’approcher lorsque des aveux avaient été passés (ou quand mes clients avaient été « balancés », comme on dit).

Malheureusement, à chaque fois que ces aveux furent rétractés, cette même technique eut le même effet, c’est à dire empêcher toute possibilité à l’accusé de démontrer son innocence.

Car c’est malheureusement à cela qu’aboutit cette théorie dite « des portes fermées », que j’ai également entendu récemment appeler « théorie des biais confirmatifs » ; une fois que les enquêteurs pensent tenir le coupable, ils n’effectuent surtout plus aucune démarche qui permettrait le cas échéant de remettre en question cette culpabilité (pensez-vous, cela serait très embêtant, il faudrait tout reprendre à zéro !).

Par « biais confirmatif », on entend la propension des enquêteurs à ne rechercher et donc à ne trouver que des éléments venant corroborer l’hypothèse de la culpabilité de leur déjà-coupable-et-qui-va-le-rester – autrement appelé dans notre droit positif « le présumé innocent ».

Quitte parfois à fermer les yeux sur des énormités.

Je me souviens que dans une affaire de viol, la culpabilité de mon client tenait à sa reconnaissance par la victime d’abord sur portrait robot, puis naturellement lorsqu’on lui présenta l’énergumène en chair et en os.

Sauf que le portrait robot était une caricature qui ne trouverait pas preneur à 5 euros sur une foire saisonnière de bord de mer.

Et que surtout, les éléments de description physique retenus pour l’établir correspondaient trait pour trait à un autre protagoniste du dossier qui aurait pu faire un coupable idéal pour peu qu’on prît le temps de l’interroger au moins une fois, pourquoi pas de le présenter à la victime.

Malheureusement, les enquêteurs avaient décidé de fermer cette porte.

Ce ne fut pas la dernière que mon client vit se refermer sur lui. Non, la dernière fut celle de sa cellule, pour cinq ans dans une affaire où son sort me semblait avoir été joué aux dés.


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