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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Le contre-interrogatoire en Cour d’assises

L’oralité des débats devant la Cour d’Assises est un des principes directeurs de ces affaires si particulières, auquel je suis très attaché car il renferme l’essence même du procès criminel.

C’est là et nulle part ailleurs que se joue la partie la plus fine, la plus compliquée et la plus payante sans doute d’une affaire criminelle lorsque l’accusé entend voir reconnaître son innocence.

Je ne dédaigne pas plaider en fin de procès et mentirais si j’écrivais ici n’y prendre aucun plaisir.

Seulement, contrairement à ce que pensent la plupart des gens, la plaidoirie n’est pas le lieu ou se noue la décision.

Pour moi, la décision se fait pendant les journées d’instruction d’audience et en particulier lors des interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins, experts, parties civiles et accusés.

La plaidoirie n’est plus ensuite qu’une synthèse de ce qui s’est dégagé de cette instruction d’audience, souvent la décision est déjà faite et il n’y a plus qu’à conclure.

Le contre-interrogatoire suppose un interrogatoire. Ce dernier est la prérogative du Président, qui en use plus ou moins selon sa manière de conduire les débats.

Il arrive parfois que le Président ne pose aucune question aux témoins ou aux experts. Il appartient alors aux avocats de tenter de faire émerger les éléments dans le discours du témoin qui peuvent faire triompher la version de l’accusé.

Cela demande de mon point de vue une expérience particulière, pour trouver à la fois le moyen de construire un raisonnement, à la fois celui de ne pas braquer le témoin ou l’expert par une pression excessive.

Pour construire un raisonnement, il faut avoir une parfaite connaissance du dossier, notamment parce qu’il existe mille chemins entre le début de notre tentative de démonstration et le lieu où l’on veut amener le témoin. Régulièrement, la première ou les premières questions posées ne reçoivent pas les réponses attendues, et seule une connaissance encyclopédique des éléments de fait du dossier permet à l’avocat de retomber sur ses pattes et de reprendre la main.

Ensuite, sur la forme des questions à poser, un contre-interrogatoire se prépare. S’il est vrai que l’on ne peut pas toujours prévoir les réponses qui seront apportées à nos questions, une préparation sérieuse de celles-ci, avec un ordre logique, permet d’éviter trop de surprises.

Enfin, il est utile de préciser que le contre-interrogatoire ne doit en aucun cas être une passe d’armes entre l’avocat et le témoin. Cela dessert la défense, car l’avocat est alors identifié comme un roquet, agressif, qui exerce une pression injuste sur un témoin à qui par hypothèse rien n’est reproché. Il faut parvenir à trouver le ton juste, pour incliner le témoin à délivrer la vérité, parfois à faire un chemin très long par rapport à sa position initiale.

Les premières questions sont souvent déterminantes, car elles renseignent les parties en présence ; le témoin sur le fait que l’avocat n’est pas là pour le « bouffer » ou lui extorquer une vérité qui n’est pas la sienne, l’avocat sur l’état d’esprit du témoin, la probabilité qu’il s’ouvre pour lui permettre de bâtir son contre-interrogatoire ou au contraire qu’il soit fermé comme une huître et que l’on ne puisse rien en tirer.

Il faut à mon sens éviter les questions à rallonge qui perdent le témoin et lui donnent invariablement l’impression que l’on essaye de le manipuler. Des phrases courtes, des mots simples, en alternant les questions fermées et ouvertes.

Les questions ouvertes ne doivent pas porter sur l’essentiel de la démonstration mais plutôt sur des à côtés que l’avocat jugera inoffensifs. Le but de ces questions ouvertes est d’instaurer une sorte d’état d’aise chez le témoin en lui permettant de s’exprimer librement sur quelque chose qu’il maîtrise.

Pour le vif du sujet, ce qui touche au cœur de la démonstration souhaitée par l’avocat, il faudra privilégier les questions courtes et fermées, dont la réponse est déjà connue.

Le but n’est pas d’apprendre quelque chose du témoin mais de lui faire dire une vérité qui sert la défense.

Et parfois, la magie opère, le témoin est amené à dire cette vérité, et parfois  ce témoin est le témoin clé de l’affaire – souvent le directeur d’enquête - et son contre-interrogatoire permet de la faire basculer.

Les meilleures décisions que j’ai obtenues devant une cour d’assises se sont toutes appuyées sur des contre-interrogatoires réussis.

Je pense que c’est la clé de voute de ces affaires.

La maîtrise du contre-interrogatoire est un art, que l’on apprend à force d’expérience, au contact de ces affaires difficiles, de l’ensemble des acteurs du procès criminel.

Il est sans doute même plus difficile d’acquérir la maîtrise de cet exercice périlleux que celle de la plaidoirie, dont nos anciens disent pourtant - et à raison - qu’une carrière ne suffit pas à la posséder.

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