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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Pour ou contre la diffusion des photos de scènes de crime ?

Je plaidais devant une cour d’assises une affaire largement médiatisée dans laquelle on reprochait à une mère d’avoir tué par étranglement sa fille de 4 ans, issue fatale d’une dizaine de jours pendant lesquels l’enfant avait subi violences, mauvais traitements et privation de soins, de sa part mais également de la part de son conjoint du moment, dont j’étais l’avocat.

Les faits avaient été qualifiés de tortures et actes de barbarie car l’enfant avait été gravement brûlée sur une importante partie de son corps.

A l’ouverture du procès, les papiers parus dans toute la presse rivalisaient d’emphase pour tenter de décrire le calvaire de l’enfant, si bien que le procès s’ouvrit sous tension, ce qui est toujours le cas dans les affaires impliquant un enfant.

Au deuxième jour du procès, après que l’on avait expliqué en long, en large et en travers les sévices infligés à l’enfant et les blessures qui en avaient découlé, vint le moment du passage des albums photos.

Pour ma part, en préparant ce dossier, comme souvent, je n’avais pas consulté les albums.

J’avais parfaitement compris ce qu’avait subi cet enfant tel que décrit par les enquêteurs et les médecins légistes.

Cependant, en regardant les jurés feuilleter l’album, à l’expression de leur visage, à l’écarquillement de leurs yeux, au jaillissement des larmes, ma curiosité fut piquée et je consultai le recueil de photographies.

Je compris rapidement les réactions des jurés.

A peine après avoir feuilleté l’album, je m’interrogeai sur l’utilité de ce visionnage.

En quoi visionner ces photos m’était-il utile ? Etait-ce nécessaire à la compréhension du dossier ? Y avais-je appris quoi que ce soit de neuf sur cette affaire ? En quoi cela aurait-il pu m’aider à appréhender d’une manière plus complète les éléments de cette affaire ?

Il faut le dire : à rien.

En réalité, la seule chose que ce visionnage avait pu permettre de satisfaire, c’était ma curiosité.

Ce que j’avais vu, c’était les images qui correspondaient à ce que j’avais lu dans le dossier en le préparant et à ce que j’avais entendu pendant l’audience.

Et je ne vois pas que les jurés aient appris quoi que ce soit de plus que moi.

Alors pourquoi ce visionnage ? Pourquoi ce passage quasi obligatoire lors d’un procès en cours d’assises ?

Il faut le dire, je ne vois guère d’autre explication que le choc des images.

L’expérience me permet de dire que ce visionnage ne sert, la plupart du temps, qu’à renfrogner les jurés, qu’à les incliner à plus de sévérité.

De même, en escaladant yeux grands ouverts les pentes raides de l’horreur, on permet aux jurés d’atteindre la zone où il leur devient difficile de voir ou entendre encore la Défense.

J’ai entendu beaucoup de confrères dire après ce genre de visionnage « on les a perdus ».

Je le mesure à chaque fois que j’y assiste.

L’acte de juger, c’est prendre de la distance, pour pouvoir sereinement peser les arguments pour et contre.

En rabaissant l’appréhension que les jurés peuvent se faire d’un dossier au choc d’images sanguinolentes, en niant leur capacité d’abstraction par l’imposition d’images crues et concrètes, on les éloigne de cette zone de sérénité qui sied pourtant à un jugement éclairé.

L’accusé que je défendais, contre lequel il n’existait pas d’éléments de preuve d’une participation active aux actes les plus graves qualifiés torture et actes de barbarie a fait plaider en pure perte les arguments de sa défense.

Depuis le visionnage de ces photos, le jury était devenu aveugle et sourd à tout argumentaire visant à expliquer, contester ou démontrer.

Il fut condamné à 15 années de réclusion criminelle.

 

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