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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

ENM vs Écoles des avocats : le match inepte

Encore une polémique, à mon sens une provocation imbécile, qui vient émailler l’actualité judiciaire la semaine dernière, après qu’une magistrate du Parquet, dont j’ai oublié le titre ou rang (ils sont plus ou moins tous vice-présidents, non ?) qu’elle me pardonne, a jugé utile de comparer, lors d’une audience solennelle de rentrée au Tribunal Judiciaire de Bastia, le parcours post-universitaire des magistrats et des avocats (Cf. article France 3 Tweets)

Son but était de vanter le parcours d’excellence amenant l’étudiant à l’Ecole des avocats, et de torpiller le parcours moins excellent les conduisant à l’Ecole des avocats. Le tout sur fond de grogne de la Magistrature qui n’encaisserait pas la nomination de la Vice-Bâtonnière de Paris à la Présidence de l’École nationale de la Magistrature.

Passons sur cette grogne inepte, qui ne peut à l’évidence que démontrer l’étroitesse d’esprit de ceux qui la fomentent, tant il est vrai que cette nomination ne changera rien à l’affaire, pas plus que celle d’Eric DUPOND MORETTI au Ministère de la Justice.

Concentrons-nous sur cette histoire d’Ecole, qui m’a intéressée car cela fait 15 ans (en fait un peu plus, car cela commençait dès la faculté de droit) que j’entends les aspirants, puis les magistrats de plein exercice, nous vanter l’excellence de leur parcours, alors que toute personne douée de raison comprendrait à l’évidence que cela n’a d’une part aucun fond de vérité, d’autre part et surtout aucun intérêt.

D’une part cela n’est pas vrai, car comme le rappelait la parquetière de Bastia, ce qui fait l’essentielle différence entre les parcours post-université des magistrats et des avocats, c’est l’accès à leurs écoles respectives, moins la formation elle-même.

Il est un fait que le concours d’accès à l’ENM est très sélectif, beaucoup plus que les examens d’entrée aux Centres Régionaux de Formation à la Profession d’Avocats. Et ensuite ?

Déjà, s’imaginer que les meilleurs étudiants vont forcément atterrir à l’ENM est une erreur fondamentale, car en réalité, ceux parmi les meilleurs étudiants qui ont choisi l’avocature par vocation n’ont même pas eu un regard pour la magistrature. C’est d’ailleurs mon cas, même si malheureusement je dois à l’honnêteté de ne pas me compter parmi les meilleurs étudiants. Il n’en reste pas moins qu’un mois de stage en juridiction, renforcé par 4 années d’assistanat de Jusitce - m’a en effet permis de comprendre que ce métier n’était pas fait pour moi ; aucune indépendance, le poids de l’administration et de la hiérarchie – ou de la carrière, ce qui revient au même - à tous les coins de bureau, des conditions de travail cheap... pas suffisant pour contrebalancer l'attrait par ailleurs évident de ce métier.

Ensuite, la sélectivité du concours n’emporte pas qualité de la formation ; je ne défendrai pas ici celle dispensée par les CRFPA, je n’ai pour ma part rien appris dans cette école où mes camarades et moi avons perdu notre temps à mon avis. Il eut été beaucoup plus intéressant de mélanger cours de procédure et pratique en cabinet, par exemple dans le cadre d’une alternance, mais j’imagine que la poussière accumulée sur les traditions de la profession d’avocat est trop épaisse pour permettre à ceux qui sont chargés de la faire évoluer de se rabaisser à un système qu’ils jugent sans doute uniquement bon pour les métiers manuels…

Mais quid de la formation dispensée à l’ENM ? Dans l’esprit, elle est comparable à ce qui se fait chez les avocats, c’est un mélange de cours théoriques et de stages d’observation puis de mise en pratique dans différents services. D’expérience, je n’ai jamais été subjugué par les qualités techniques des magistrats que j’ai croisés. Ceux que j’ai vus portés au pinacle comme étant les champions dans leur domaine ne me sont jamais apparus aussi brillants que les avocats spécialisés que j’ai croisés par ailleurs. Et cela est directement lié au fait que la spécialisation chez les magistrats est bien moins fréquente et poussée que chez les avocats. Pour ma part, je ne fais plus que du droit pénal depuis des années ; tout dossier qui me serait confié dans une autre matière serait immédiatement orienté vers l’un de mes associés ou, si aucun de mes associés n’est compétent en la matière, vers un autre cabinet spécialisé.

Les magistrats pour leur part et dans l’immense majorité des cas (on pourra me rétorquer qu’il existe des spécialisations dans les grandes juridictions, je répondrais pour la blague « allez plaider un dossier de droit de la Presse à Libourne ! ») sont généralistes. On retrouve souvent les mêmes au correctionnel, puis aux affaires familiales, puis au Parquet avant de les voir siéger aux affaires sociales… S’imaginer que le concours extraordinaire qu’ils ont passé avec un succès non moins extraordinaire 10, 15 ou 30 ans auparavant puisse leur tenir lieu de certificat de compétence ou de spécialisation démontre la pensée magique dans laquelle ceux qui pensent comme le Parquet de Bastia se trouvent enferrés.

L’objet de ce billet n’est sûrement pas de se poser en contre-thèse à celle qui voudrait que les magistrats sont mieux formés que les avocats, ou supérieurs à eux. Ce n’est pas le cas et l’inverse n’est pas vrai non plus. Les avocats ne sont en rien supérieurs aux magistrats.

            Tout cela est d’autant plus ridicule que sur les 7 années de formation des uns et des autres, les 5 premières sont les mêmes ; ce qui est ahurissant, c’est de voir à quel point certains magistrats, compte tenu du pouvoir qui est le leur, oublient vite qu’ils étaient à côté de nous sur les bancs de la fac. Et en finisse par traiter les avocats, leurs coreligionnaires de la fac, avec mépris et condescendance.

            D'autre part, l'intérêt de ce concours et de la formation qui s'ensuit me semble à relativiser d'autant que les qualités qui font un bon magistrat n’ont rien à voir avec leur aptitude à bachoter pour décrocher un concours de fonction publique, quelle qu’en soit la sélectivité.

            La seule chose que l’on peut tirer de cette réussite à un tel examen, c’est la capacité à travailler, à penser comme on vous demande de le faire (ils payent même des cours privés de préparation pour qu’on leur apprenne à penser comme il le faut pour être pris à ce concours !).

            Pour le reste, il faut s’en remettre aux qualités individuelles de chacun. D’abord le goût d’être toujours techniquement au top, car il faut rappeler que le droit n’est pas une toile de fond dans ce métier. Ensuite, chacun doit utiliser les qualités humaines qui sont les siennes pour développer son aptitude à trancher, ce qui doit toujours être un processus difficile ; humilité, empathie, patience, courage, remise en question, introspection, etc. La liste est infinie. Elle permet de comprendre qu’il y a autant de bons magistrats potentiels que de personnes différentes ayant chacune sa dose de qualités humaines individuelles.

            L’ENM, c’est le contraire de cela ; c’est une fabrique à clones, à pensée unique, à caste, qui veut gommer les qualités individuelles de chacun pour accoucher de magistrats formatés, pseudo élitistes.

            Heureusement, l’individu étant ce qu’il est, elle n’y parvient pas aussi souvent qu’elle le souhaiterait…la réaction de nombreux magistrats au dérapage incontrôlé de leur collègue bastiaise l'a suffisament démontré.

 

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