Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Avocat expulsé d'audience à Aix : une opportunité à saisir pour la Défense

Temps de lecture : environ 2 minutes

 

Qui n'a pas entendu parler de l'affaire devenue l'affaire Sollacaro/Rivet à Aix en Provence, qui la semaine dernière a vu mon confrère Paul Sollacaro se faire expulser d'une audience correctionnelle pour quelques mots échangés avec le Président d'audience Marc Rivet ? Ce dernier a ordonné aux policiers présents dans la salle de sortir l’avocat manu militari, ce que ces fonctionnaires zélés ont fait avec plaisir (pour un bon résumé, lire ceci).

J'espère que personne n'est passé à côté de triste épisode, car ce genre de scandale ne doit pas être passé sous silence. Au contraire, il doit être exposé à la vue de tous, afin que le citoyen, souvent peu passionné de Justice - tant qu'elle ne le concerne pas, c'est à dire souvent - soit informé des dérives qui menacent aujourd'hui plus que jamais cette institution fondamentale de notre société  - encore un peu - démocratique.

Évidemment, comme toute personne sensée, éprise de Justice, j'ai été indigné, révolté par le comportement de ce juge qui devra répondre de son comportement inadmissible, et je le souhaite d'une manière qui fera date (sans trop rêver toutefois, je crains que si sanction il y a, elle sera toute symbolique, mais les symboles ont un sens en pareil cas).

Évidemment, comme avocat et comme citoyen, j'ai souhaité être signataire de la Tribune qui condamne cet épisode honteux et je serai solidaire du mouvement collectif qui se prépare.

Cependant, une fois la colère épidermique passée, je n'ai pas pu m'empêcher de me faire cette réflexion : "mais comment a-t-on pu en arriver là?".

Il y aura toujours d'éternels optimistes pour imaginer qu'il s'agit là d'un comportement individuel ; d'un dérapage épiphénoménal. A ceux-là je réponds que penser cela, l'offrir en explication à cet incident est une erreur que beaucoup ont commise depuis trop d'années et qui est en très grande partie responsable de la tournure qu'ont pris les choses à Aix en Provence.

Ce que je pense, c'est que cet évènement a été rendu possible précisément parce que l'on a laissé s'installer progressivement l'idée que cela était possible.

Et quand je dis "on", je pense d'abord et surtout aux avocats. A l'avocature. A ce qu'elle est devenue. A ce que les dernières générations de confrères l'ont laissée devenir.

L'avocat, autrefois respecté par tous, n'est aujourd'hui pas plus considéré que quiconque. Ni dans la société "civile", ni dans son habitat naturel qu'est le Tribunal.

Les Zemmour (ou les Cassandre) de tout poil vous diront que laisser entrer dans la profession des fils de personne, des jean-basket en lieu et place des futurs bâtonniers ataviques, raie sur le côté et cravate bien rangée est la cause d'un appauvrissement de la lignée qui est responsable de cette descente dans l’échelle des CSP.

Malheureusement ils n'auront pas à 100% tort. L'entre-soi et la consanguinité bourgeoise ont sans doute longtemps joué dans la place importante que tenait l'avocat dans la Justice et dans les regrettés rapports cordiaux qui prévalaient entre magistrature et avocature.

Mais la réalité, c'est surtout qu'il s'agissait d'un sujet dont la nouvelle génération d'avocats et de magistrats devaient s'emparer, ce qu'ils ont failli à réaliser.

D'un côté, nous avons des magistrats désormais formés à un majoritaire mépris de l'avocat pour les moins extrémistes, à sa haine consommée pour les autres.

De l'autre, une kyrielle d'avocat aux ordres, ayant abdiqué leur indépendance sur l'autel d'une paupérisation qui les a rendus d'une docilité coupable (la dernière fois qu’on m’a mis dans les pattes un émissaire de bâtonnier local, j’ai dû l’entendre m’infliger un « ce qui compte avant, confrère, c’est préserver nos bonnes relations avec la juridiction, on est pas à Paris ici… » qui m’a valu une réponse que je n’ose publier dans ce lignes).

Les illustrations sont légion, mais le format de ce billet m’incline à en choisir une seule, assez récente : il y a un couple d'année, la Justice poitevine s'est dotée d'un nouvel écrin, la cité judiciaire des feuillants. Alors que les avocats avaient toujours été libres de leurs mouvements dans un Palais vieux de plusieurs siècles, le nouveau Tribunal s'est vu doté d'un système ne laissant l’avocat libre de circuler nulle part sans avoir déposé sa carte professionnelle pour obtenir un badge temporaire lui permettant, comme un simple visiteur, d'aller là où il serait désormais toléré.

Je n'ai jamais donné ma carte professionnelle, j'estime que c'est indigne de demander à un avocat de se séparer de cet attribut de sa profession comme condition à son exercice. C'est ainsi que je n'ai pas eu le plaisir de découvrir l'essentiel des lieux de ce nouveau Tribunal malgré les deux années qui se sont écoulées. Je ne fréquente que les lieux qui me sont autorisés librement, c'est à dire les salles d'audience.

Quelques voix, trop peu nombreuses, se sont bien élevées lors des travaux préparatoires au déménagement du Tribunal, pour indiquer que l’avocat devait avoir sa place comme le magistrat ou le greffier.

Ils ont aussitôt été étouffés, dans l’œuf, non seulement par la fin de non-recevoir des envoyés du Ministère et des généraux de juridiction, mais surtout par l’inaction totale de la profession. C’est vrai, on ne va pas se fâcher avec nos magistrats pour si peu, finalement c’est quoi, donner sa carte pour avoir un badge ?

C’est quoi, devoir minuter à l’avance sa plaidoirie sur demande d’un président d’audience. C’est quoi de devoir porter un masque pour plaider deux heures aux assises quand on réclame perpétuité contre un client qui clame son innocence ? C’est quoi, d’accepter d’être convoqué à 14 heures en grappe pour ne voir son dossier passer qu’à 21 heures ? C’est quoi ? C’est quoi ? C’est quoi de se voir expulser « comme une merde », pour reprendre l’expression utilisée par la victime elle-même de ce nouveau dérapage ?

Alors on préfère pointer du doigt celui qui ne ploie pas, désigné à la vindicte judiciaire des avocats et magistrats réunis, comme hérétique, révolutionnaire ou faiseur de buzz en mal de publicité.

Renvoyer à l'individu la mission de faire respecter sa robe, là où ce devrait être une mission assignée à l'ensemble de  la profession, enseignée dans les écoles (d'avocats comme de magistrats), c'est là la cause essentielle d'un incident tel que celui d'Aix-en-Provence, dont il faudrait être coupablement optimiste pour imaginer qu'il restera isolé si la mesure de ce qui se déroule depuis trop d'année maintenant n'est pas prise à la hauteur de ce qui s'impose.

Il faut s'emparer de cela pour nous indigner, pour réclamer le respect qui est dû à notre profession, la place qui doit être la notre au sein de la Justice. Ce doit être un combat quotidien. Comme celui que nous menons pour la Défense de nos clients.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
On a le même problème à Paris avec le nouveau palais, des badges partout, on est perçus comme des intrus quand on se rend à l'instruction pour voir l'évolution d'un dossier. Il faut faire quelque chose contre celà, ca devient problématique
Répondre