11 Juin 2009
Je plaidais aujourd'hui pour M. N devant le Tribunal correctionnel.
Mon client, déjà condamné pour stupéfiants, comparaissait pour un soit disant trafic de cannabis et d'héroine.
Depuis le début de la procédure, le Juge d'Instruction était persuadé d'avoir affaire à une pointure, gros dealer local.
18 mois après (et six mois et demi de détention provisoire), aucun élément du dossier ne permettait de retenir la thèse du trafic, mon client, toxicomane, ayant été interpellé avec 2,4g
d'héroine, seul butin des enquêteurs le concernant.
Aucun fournisseur, aucun client, aucune saisie de produit ni de liquide ou de balance électronique, habituel attirail du parfait petit dealer. Bref, rien.
La Présidente d'audience, lors de l'instruction de l'affaire, rappellait elle-même cet état de fait.
Je commençais à entrevoir une lueur d'espoir,.
Le client craignait pardessus tout un mandat de dépôt à l'audience. Je tentais bien de le rassurer ,les 6 mois et demi de détention provisoire effectués devrant lui éviter toute nouvelle
incrcération, mais il restait très anxieux.
Avec ses 2,4g, mM. N était très clairement le moins impliqué de la quinzaine de prévenus de ce dossier.
Quelle ne fut pas alors ma surprise d'entendre les réquisitions de Madame le Procureur de la République : 4 ans dont 2 ans fermes!
La peine plancher.
Réquisitions les plus lourdes de la journée.
Il faut croire que le fonctionnaire du Parquet (la Cour européenne nous a dit qu'ils ne pouvaient porter le titre de magistrat), comme le Juge d'Instruction avant elle, avait l'intime conviction
que mon client était une tête de réseau. En dépit des éléments du dossier. En dépit de l'instruction d'audience, pourtant réalisée de façon très équilibrée par la Présidente.
La culture, toute américaine, du doute raisonnable, par opposition à la nôtre, de l'intime conviction, aurait sûrement incliné cette parquetière à plus de mesure dans ses réquisitions, car elle
n'aurait pu les justifier en l'absence d'aucun élément tangible dans le dossier, hormis les 2,4g saisis lors de l'interpellation.
Il y a là une piste de réflexion pour nos législateurs, si empressés de supprimer le Juge d'Instruction pour "moderniser" et réformer la procédure pénale.
Modifier les textes concernant l'intime conviction en remplaçant cette notion suranée par celle de doute raisonnable évitera plus d'erreurs judiciaires que le fait de confier la direction de
l'enquête aux fonctionnaires du Parquet.
Cela permettra surtout d'ôter une certaine dose d'arbitraire dans les procédures pénales.
Enfin, cela permettra à la Cour de cassation d'exercer un ultime contrôle sur les dossiers sensibles, car ses attributions devraient lui permettre d'évaluer l'existence ou non d'un doute
raisonnalbe, là où le système de l'intime conviction la condamne à invoquer l'appéciation souveraine (et surtout arbitraire) des juges du fond.
M. N a écopé de 8 mois fermes.
Le tribunal, dans le doute, a décidé d'être raisonnable.